Les contrats de crédit à la consommation et les contrats de crédit immobilier comportent systématiquement une clause de style que les établissements bancaires intitulent tantôt « clause d’exigibilité anticipée », tantôt « clause de déchéance du terme ». En vertu de cette stipulation, le défaut de règlement d’une seule mensualité du crédit autorise l’établissement de crédit, après mise en demeure, à exiger, non seulement le règlement des mensualités impayées, mais aussi le remboursement de la totalité du capital emprunté, auquel s’ajoutent tous les intérêts conventionnels prévus voire des pénalités contractuelles.

Le caractère financier exorbitant de ce mécanisme est rarement dénoncé. Voici notre particulier, n’ayant accepté de contracter un crédit que parce qu’il n’avait pas le capital, qui se trouve subitement tenu de rembourser une somme qu’il peut n’avoir jamais eue ni qu’il n’aura jamais, puisqu’il l’aura par hypothèse employé à la finalité poursuivie. On n’imagine rarement l’effet psychologique désastreux qu’une telle stipulation produit en matière immobilière. L’emprunteur risque, s’il fait défaut à une seule mensualité, d’être condamné par le tribunal judiciaire à régler une somme qui excède notablement ses ressources financières et, à l’issue d’une autre procédure judiciaire devant le juge de l’exécution, la saisie-vente, de voir son bien immobilier saisi. Et s’il a commis l’imprudence de signer un contrat de crédit devant notaire, la banque ainsi munie d’un titre exécutoire, n’a nullement besoin de solliciter un jugement et peut immédiatement saisir sa demeure.

Or la Cour de cassation valide constamment cette clause d’exigibilité anticipée depuis près de quatre décennies, se contentant d’en subordonner l’effet à une mise en demeure préalable de la banque à l’emprunteur. Il faut concéder qu’elle ne pourrait en juger autrement car les textes du Code de la consommation organisent eux-mêmes le remboursement immédiat du capital par l’emprunteur défaillant. Ainsi l’article L312-39 alinéa 1er dudit Code énonce en matière de crédit à la consommation qu’« en cas de défaillance de l’emprunteur, le prêteur peut exiger le remboursement immédiat du capital restant dû, majoré des intérêts échus mais non payés ». Et l’article L313-50 du Code de la consommation l’admet incidemment, en matière de crédit immobilier, quand il dispose qu’

« en cas de défaillance de l’emprunteur et lorsque le prêteur n’exige pas le remboursement immédiat du capital restant dû, il peut majorer, dans des limites fixées par décret, le taux d’intérêt que l’emprunteur aura à payer jusqu’à ce qu’il ait repris le cours normal des échéances contractuelles ».

Il faut croire pourtant que cette conclusion ne satisfait nullement les emprunteurs puisque cette clause suscite un contentieux régulier devant les juges d’exécution ou devant les tribunaux judiciaires. Concédons que cette clause, qui rend exigibles des mensualités dont le terme n’est pas survenu, s’accorde mal avec l’idée, adoptée par le Code civil, suivant laquelle l’emprunteur serait tenu d’une obligation de restitution. Son examen permet de vérifier l’intuition commune, celle que le contrat de prêt fait naître une pluralité d’obligations de restitution à la charge de l’emprunteur (I). Il permet aussi de se rendre qu’elle ne correspond nullement à une déchéance du terme ou une exigibilité anticipée, mais à une clause résolutoire (II). S’en trouve offert le boulevard du régime de ce type de clause, dans lequel les emprunteurs pourront puiser un appui, aussi maigre soit-il (III).

I- Une sanction qui postule la pluralité des obligations de restitution de l’emprunteur.

On oublie souvent qu’à l’origine, notamment en droit romain, le prêt d’argent ne fait naître à la charge de l’emprunteur qu’une seule obligation, celle de rembourser d’une traite les deniers prêtés à la date convenue. Il n’est évidemment pas question pour le créancier de se rendre chaque mois devant le huis de son débiteur pour en emporter une fraction du capital et des intérêts sous forme de monnaie sonnante et trébuchante. Le remboursement se fait en une fois, à l’échéance. Ce schéma, qui existait dès le droit romain, s’est reproduit au Moyen Age, puis sous l’Ancien Régime, au point que le Code civil l’a reçu implicitement en 1804 à l’article 1895 alinéa 1er : « L’obligation qui résulte d’un prêt en argent n’est toujours que de la somme numérique énoncée au contrat ».

Puis le train postal et le mandat postal sont apparus en 1817, la lettre recommandée à Paris en 1829 et en province en 1844, le chèque en 1865, le chèque barré en 1911 et le virement bancaire au XXe siècle tel que nous le connaissons. Grâce à ces procédés de transport facilitant le transfert d’argent, l’emprunteur pouvait régler chaque mois un certain nombre de mensualités constitutives d’une fraction du capital et des intérêts. Et qui peut, finit par devoir : s’est ainsi répandue une nouvelle configuration du crédit bancaire par laquelle l’emprunteur devait verser ces mensualités. Or, cette donnée inédite dans l’Histoire du crédit bancaire n’a pas été prise en compte par l’analyse juridique, alors même qu’elle transparaissait dans un document contractuel, le tableau d’amortissement, que le banquier annexe à tout contrat de crédit immobilier.

La doctrine universitaire continue à professer que l’emprunteur réglant ces nombreuses mensualités n’est tenu que d’une obligation de remboursement. Ce discours paraît incohérent lorsqu’on le confronte aux textes de loi. Selon le Code civil, le paiement est l’exécution volontaire du débiteur qui éteint « la » dette : « Le paiement est l’exécution volontaire de la prestation due. Il doit être fait sitôt que la dette devient exigible. Il libère le débiteur à l’égard du créancier et éteint la dette, sauf lorsque la loi ou le contrat prévoit une subrogation dans les droits du créancier ». Le Code ajoute que « le créancier peut refuser un paiement partiel même si la prestation est divisible ». Si l’on poussait donc cette doctrine dans ses retranchements, on parviendrait à la conclusion absurde suivante : soit les règlements de mensualités ne sont pas des paiements – alors même qu’ils sont des transferts de fonds sans intention libérale – parce qu’ils n’éteignent pas la dette de remboursement de l’emprunteur ; soit ils ne constituent que des paiements partiels de la dette unique de l’emprunteur, mais alors le banquier pourrait les refuser !

Tout ceci n’a ni queue ni tête. Le banquier peut en effet réclamer le versement de ces mensualités : ce qui démontre que ces versements correspondent à des paiements complets d’une dette. Or, si chaque fois qu’il règle une mensualité, l’emprunteur éteint « la » dette correspondante, il faut en déduire qu’il est tenu de plusieurs dettes de remboursement : autant de dettes que son tableau d’amortissement comprend de mensualités. Ce n’est d’ailleurs qu’à cette condition, déterminante de son consentement, que le particulier a accepté d’emprunter. Le prêt s’analyse dès lors en un contrat à exécution échelonnée dont les obligations, plurales, s’exécutent à des échéances séparées, ou si l’on veut, à des termes (suspensifs) distincts. Cette analyse permet seule de comprendre pourquoi le défaut de paiement d’une mensualité provoque l’exigibilité des suivantes. Ce n’est pas dire néanmoins que les appellations « déchéance du terme » et « exigibilité anticipée » soient vraiment satisfaisantes.

II- Une clause résolutoire plus qu’une déchéance du terme ou une exigibilité anticipée.

Le concept de « déchéance du terme », qui peut effectivement frapper un contrat à exécution échelonnée, renvoie à une sanction brutale par laquelle l’on frappe un débiteur malhonnête. On songe à cet égard à la déchéance du terme du débiteur qui a sciemment diminué les sûretés qu’il avait données par le contrat à son créancier. L’article 1305-4 du Code civil dispose, depuis l’ordonnance du 10 février 2016, que « le débiteur ne peut réclamer le bénéfice du terme s’il ne fournit pas les sûretés promises au créancier ou s’il diminue celles qui garantissent l’obligation ». Ces actes laissent poindre une intention de nuire à l’encontre de son créancier, et l’on imagine que le débiteur les a effectués dans le désir de le laisser impayé au terme, tout en ayant profité des avantages du contrat.

Peut-on comparer à cette situation l’emprunteur qui ne règle pas une mensualité exigible ? En soi, un tel défaut de paiement, isolé, unique, que peut expliquer une difficulté passagère de trésorerie, un oubli, une dépression nerveuse ou n’importe quel tourment temporaire de notre époque, ne peut faire présumer l’intention de l’emprunteur de ne pas régler les prochaines échéances. A ce titre, et s’il s’agissait de déchéance du terme au sens strict, notre emprunteur ne devrait pas pouvoir être déchu du terme suspensif de ses autres obligations dont l’exigibilité n’est pas encore advenue. La qualification de « déchéance du terme » appliquée à cette situation nous paraît controuvée, disproportionnée, inadaptée.

Il ne serait pas non plus recevable de prétendre que l’emprunteur a renoncé par avance au bénéfice de ces termes. En Droit, une renonciation ne se présume pas et ne peut résulter que d’actes de son titulaire manifestant sans équivoque sa volonté de renoncer à un droit acquis. Autrement dit, un emprunteur ne devrait pas pouvoir renoncer par avance, dans le contrat de crédit, au calendrier de son tableau d’amortissement sous quelque prétexte que ce soit, même le défaut de paiement d’une échéance dont le terme n’est pas acquis.

Présenter les choses en termes d’« exigibilité anticipée » conduit aussi à un cul-de-sac.

Sans doute consciente de cette difficulté, une partie isolée de la doctrine universitaire défend la validité de cette clause en lui prêtant une autre qualification, celle de clause résolutoire. Rappelons qu’une clause résolutoire est une stipulation qui, dans un contrat, déclenche son extinction de plein droit en cas d’inexécution de ses obligations par celui des contractants qu’elle sanctionne. Aux termes en effet de l’aliéna 1er de l’article 1225 du Code civil, « la clause résolutoire précise les engagements dont l’inexécution entraînera la résolution du contrat ».

En invoquant la clause de « déchéance du terme » ou « d’exigibilité anticipée », le banquier prétexte simplement de l’inexécution d’une seule obligation de l’emprunteur, le versement d’une mensualité du crédit, pour éteindre l’intégralité du contrat et exiger le remboursement immédiat de la totalité des autres mensualités. La Cour de cassation semble faire sienne cette analyse, dans la mesure où elle a rendu ses quatre arrêts précités sous le visa de l’ancien texte 1184 du Code civil qui régissait la résolution du contrat.

Cette qualification trouve au demeurant une assise ferme dans le Code de la consommation, dont l’article L313-51 alinéa 1er dispose que « lorsque le prêteur est amené à demander la résolution du contrat, il peut exiger le remboursement immédiat du capital restant dû, ainsi que le paiement des intérêts échus. Jusqu’à la date du règlement effectif, les sommes restant dues produisent des intérêts de retard à un taux égal à celui du prêt ». Les clauses de « déchéance du terme » ne font ainsi figure que d’équivalent contractuel à la résolution judiciaire du contrat de crédit évoqué par cette disposition. Il suffit désormais d’en déduire les conséquences pratiques.

III- Le régime juridique à suivre d’une clause résolutoire.

Si elle n’est finalement qu’une clause résolutoire au sens de l’article 1225 du Code civil, la clause de « déchéance du terme » doit en suivre le régime habituel.

L’établissement bancaire doit avoir toute latitude pour décider s’il s’en prévaut ou s’il préfère la résolution judiciaire ou la résolution unilatérale du contrat de crédit, ou s’il préfère encore poursuivre l’exécution forcée de la ou des mensualités non réglées. S’il met en œuvre cette clause résolutoire propre au droit du crédit, il doit mettre en demeure l’emprunteur, ce que la Cour de cassation confirme comme on l’a vu précédemment.

A l’imitation de la jurisprudence dégagée en matière de clause résolutoire et conformément aux termes péremptoires du nouvel article 1225 du Code civil, cette mise en demeure devrait comporter non seulement le visa de la clause de « déchéance du terme », elle devrait en rappeler le contenu, souligner l’intention de l’établissement bancaire de s’en prévaloir, fixer le délai pour y faire obstacle et être invoquée de bonne foi par l’établissement bancaire.

Assurément, les tribunaux se sont toujours refusés à apprécier la proportionnalité de la résolution conventionnelle à l’inexécution commise. Et l’ordonnance du 10 février 2016 l’a entériné : si la résolution judiciaire et la résolution unilatérale présupposent une « inexécution suffisamment grave » du débiteur, le juge qui prononce la résolution en application d’une clause résolutoire se contente d’en vérifier les conditions propres. Celle-ci peut donc être déclenchée dès lors qu’un défaut de paiement d’une mensualité est enregistré, si la clause l’a érigé expressément en cause de remboursement immédiat du capital et des intérêts.

Toutefois, et à l’imitation du débiteur auquel on oppose une clause résolutoire, l’emprunteur faisant face à une « déchéance du terme » devrait pouvoir solliciter du juge des référés ou du président du tribunal de commerce l’octroi d’un délai de grâce ou l’échelonnement des mensualités rendues exigibles. L’article 1343-5 alinéa 1er du Code civil dispose en effet que « le juge peut, compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier, reporter ou échelonner, dans la limite de deux années, le paiement des sommes dues ». L’article 510 du Code de procédure civil donne compétence au juge des référés pour accorder un délai de grâce à titre principal avant tout exécution.

Pour s’y opposer, des auteurs estiment qu’un tel délai de grâce ne peut être octroyé que si le juge doit statuer sur l’exécution d’une obligation et non pour ordonner la résolution du contrat. On leur répondra que la résolution du contrat de crédit aboutit, pour l’emprunteur, à obtenir l’exécution d’une obligation, celle de restituer le capital et les intérêts, outre les pénalités.

En outre, l’article R121-1 du Code des procédures civiles permet au juge de l’exécution d’accorder un délai de grâce au débiteur dont le bien immobilier est saisi. Si l’emprunteur peut en bénéficier en aval, lors de la saisie, pourquoi ne pourrait-il pas en bénéficier en amont, au stade de la procédure menée par l’établissement bancaire pour le condamner à verser lesdites sommes en application de la clause de « déchéance du terme » ?

Ce délai de grâce est l’unique secours – limité au reste puisqu’il n’empêche pas le remboursement du capital d’être ordonné – que l’emprunteur temporairement défaillant peut extraire de la présente analyse.