Le 18 juillet 2025, l’Union européenne a franchi une nouvelle étape dans sa stratégie de sanctions en adoptant un ensemble étoffé de sanctions visant la Russie et la Biélorussie. Ce 18ème paquet de sanctions, d’une ampleur notable tant sur le plan matériel que juridique, témoigne d’une volonté politique affirmée de fermer les brèches, cibler les soutiens logistiques, et renforcer les dispositifs anti-contournements.

Plusieurs textes viennent élargir substantiellement le champ des interdictions économiques, commerciales et financières, tout en introduisant des mécanismes novateurs de protection juridique, notamment contre les recours contentieux abusifs fondés sur des traités d’investissement. L’arsenal européen se renforce également par un ciblage extraterritorial plus affirmé, visant notamment des entités implantées dans des pays tiers qui faciliteraient le contournement des mesures restrictives.

Sur le plan sectoriel, l’Union européenne approfondit son approche différenciée :

  • D’un côté, en consolidant le régime applicable à la Biélorussie, en réaction à sa participation directe au soutien logistique et militaire russe ;
  • De l’autre, en durcissant considérablement les sanctions contre la Russie, relativement au plafonnement du prix du pétrole, aux crypto-actifs, aux logiciels industriels ou aux infrastructures énergétiques sensibles.

À cela s’ajoutent des règlements d’exécution et décisions d’exécution venant enrichir les listes nominatives des entités et personnes visées par des gels d’avoirs, interdictions de transaction et mesures individuelles.

Cet article propose une lecture approfondie de l’ensemble des instruments juridiques adoptés ce 18 juillet 2025, en mettant en lumière les nouvelles tendances structurantes du régime européen de sanctions.

Renforcement du régime de sanctions à l’encontre de la Biélorussie : décision (PESC) 2025/1471 du Conseil et règlement (UE) 2025/1472 du Conseil

Par l’adoption de la décision (PESC) 2025/1471 et du règlement (UE) 2025/1472, l’Union européenne poursuit ses efforts en réaction au soutien actif de Minsk à l’agression militaire de la Russie contre l’Ukraine, en renforçant aussi bien les interdictions sectorielles que les mécanismes de protection juridique de l’Union.

Un durcissement coordonné des restrictions sectorielles

La décision (PESC) 2025/1471 introduit une série de nouvelles interdictions, immédiatement transposées dans le droit de l’Union via le règlement 2025/1472. Ensemble, ces textes :

  • interdisent l’achat, l’importation ou le transfert, directs ou indirects, vers l’Union de tout armement ou matériel connexe en provenance de Biélorussie, sauf exceptions strictes (contrats préexistants, sécurité, maintenance) ;
  • élargissent considérablement la liste des biens soumis à restrictions à l’export, incluant les technologies à double usage, les machines-outils à commande numérique, les produits chimiques sensibles, ainsi que des composants métalliques ou plastiques industriels pouvant renforcer les capacités de défense biélorusses ; et
  • renforcent le contrôle sur les exportations indirectes, en instaurant un mécanisme d’autorisation préalable dès lors qu’il existe un risque crédible de détournement vers la Biélorussie via un pays tiers.

Blocage des circuits financiers et bancaires biélorusses

Les nouvelles mesures économiques incluent également un verrouillage accru des canaux financiers. Le règlement 2025/1472 :

  • transforme l’interdiction de services SWIFT en une interdiction générale de toute transaction avec plusieurs établissements bancaires biélorusses listés en annexe ;
  • cible aussi les prestataires de services en crypto-actifs opérant pour le compte d’entités biélorusses, en leur interdisant l’accès au marché de l’Union ;
  • prévoit toutefois des dérogations limitées pour certaines opérations diplomatiques, humanitaires ou privées (notamment au bénéfice des citoyens de l’Union résidant en Biélorussie ou en vue de clôturer certaines activités commerciales).

Protection contre les recours abusifs aux traités d’investissement

Au-delà des mesures économiques, les deux textes consacrent un nouveau pilier du régime de sanctions : la protection juridique contre les recours abusifs fondés sur des traités d’investissement.

  • Ils interdisent expressément la reconnaissance et l’exécution, dans l’Union, de toute sentence arbitrale ou décision judiciaire étrangère contestant les effets des sanctions adoptées.
  • Ces recours sont réputés contraires à l’ordre public de l’Union, ce qui empêche leur reconnaissance par les juridictions nationales des États membres.
  • L’Union et ses États membres peuvent également engager une action en réparation à l’encontre d’entités ayant agi de mauvaise foi en lançant de telles procédures.

Ce volet marque une évolution qualitative du régime de sanctions, en consolidant son efficacité non seulement sur le plan matériel mais aussi dans sa défense contre les instruments juridiques détournés à des fins de contournement.

Poursuite du durcissement à l’égard de la Russie : décision (PESC) 2025/1495 et règlement (UE) 2025/1494 du Conseil

Dans le prolongement des mesures visant la Biélorussie, l’Union européenne a également renforcé de manière significative son régime de sanctions contre la Fédération de Russie, avec l’adoption de la décision (PESC) 2025/1495 et du règlement (UE) 2025/1494, modifiant respectivement la décision 2014/512/PESC et le règlement (UE) n°833/2014.

Ciblage extraterritorial et lutte contre le contournement

L’Union renforce son arsenal en élargissant le périmètre géographique des entités visées.
26 nouvelles entités s’ajoutent à la liste des organismes soumis à restrictions, dont plusieurs implantées dans des pays tiers, soupçonnées de contribuer à l’approvisionnement du complexe militaro-industriel russe. En complément, un mécanisme extraterritorial permet dorénavant à des entités de pays tiers d’être sanctionnées dès lors qu’elles facilitent sciemment le contournement des mesures européennes.

Plusieurs sociétés étrangères impliquées dans la fourniture à la Russie de composants critiques (semi-conducteurs, capteurs, drones) sont identifiées et dorénavant soumises aux mêmes interdictions d’exportation et de prestation de services que les entités russes directement visées. Un cadre de coopération renforcée avec les pays tiers permet également de fluidifier les contrôles douaniers et d’améliorer la traçabilité des flux commerciaux sensibles.

Verrouillage énergétique : fin des dérogations et blocage des infrastructures

Le secteur énergétique reste au cœur des préoccupations européennes. Les deux textes adoptés mettent fin à plusieurs régimes dérogatoires et élargissent les interdictions d’importation d’hydrocarbures d’origine russe. En particulier :

  • la dérogation temporaire accordée à la Tchéquie pour l’importation de pétrole brut russe par oléoduc est supprimée ;
  • l’Union interdit l’importation de produits pétroliers raffinés dans des pays tiers à partir de brut russe, en réponse aux pratiques de transformation hors territoire russe ;
  • les terminaux GNL non connectés au réseau européen ne peuvent plus être utilisés pour l’importation de gaz russe ;
  • toute transaction liée aux infrastructures Nord Stream et Nord Stream 2 est expressément interdite, de même que leur remise en service éventuelle.

Blocage des circuits financiers, numériques et technologiques

L’Union européenne élargit aussi le périmètre des mesures financières et technologiques, avec pour objectif de réduire l’accès de la Russie aux capitaux, aux outils numériques avancés et aux prestataires de services en crypto-actifs. Cela comprend notamment :

  • l’interdiction de toute relation économique avec le Russian Direct Investment Fund (RDIF) et ses filiales ou bénéficiaires,
  • le blocage de la fourniture de logiciels spécialisés dans les secteurs bancaire, énergétique et industriel,
  • l’extension des restrictions aux prestataires de services sur crypto-actifs qui facilitent des opérations dissimulées ou de contournement, y compris situés dans des pays tiers.

Ces dispositions visent à fragiliser l’architecture technologique et financière de l’économie de guerre russe, tout en réduisant ses points d’appui externes.

Protection contre les recours abusifs aux traités d’investissement

Comme pour la Biélorussie, la décision et le règlement introduisent des mécanismes juridiques contre les procédures abusives, notamment celles fondées sur des mécanismes de règlement des différends entre investisseurs et États, telles que décrites ci-dessus.

Il est ainsi interdit de reconnaître ou d’exécuter dans un État membre toute décision arbitrale ou judiciaire étrangère remettant en cause les effets des mesures restrictives, car réputés contraires à l’ordre public de l’Union.

En outre, les États membres et les institutions de l’Union peuvent engager une action en réparation à l’encontre des entités ayant initié de telles procédures, en vue de recouvrer les frais générés ou les dommages subis.

Ajustement du mécanisme de plafonnement du pétrole

Le régime de plafonnement du prix du pétrole russe est également précisé et encadré, notamment par l’introduction d’un ajustement automatique du prix plafond applicable au pétrole brut russe transporté par voie maritime. Ce prix sera révisé tous les six mois et devra rester fixé à un niveau de 15 % inférieur au prix moyen mondial, afin de réduire les recettes pétrolières russes tout en évitant les perturbations sur les marchés internationaux de l’énergie.

Renforcement du ciblage individuel : ajouts coordonnés aux listes de sanctions européennes

En complément des mesures sectorielles adoptées contre la Russie et la Biélorussie, l’Union européenne a procédé à un ajustement ciblé de ses listes de personnes et d’entités sanctionnées, en mettant l’accent sur les acteurs industriels, financiers et logistiques directement ou indirectement impliqués dans l’agression contre l’Ukraine. Ces ajouts reflètent une volonté d’améliorer la granularité du ciblage, en bloquant les relais structurels de l’économie de guerre russe et biélorusse.

Précision du ciblage industriel biélorusse

La pression s’intensifie sur le tissu industriel de défense biélorusse. La décision d’exécution (PESC) 2025/1461 du Conseil actualise les annexes I et II de la décision 2012/642/PESC en y inscrivant huit nouvelles entités biélorusses actives dans les secteurs de l’armement, des systèmes optiques et des technologies à double usage.

Parmi celles-ci figurent notamment Belvneshpromservice (entreprise publique dans l’exportation de matériel militaire), OKB TSP (concepteur de systèmes antiaériens), KB Unmanned Helicopters (fabricant de drones militaires), Legmash Plant OJSC (producteur de munitions lourdes), ainsi que des entités telles que LEMT (BelOMO), Laser Devices and Technologies, JSC Vistan et Rukhservomotor LLC, toutes directement liées à l’approvisionnement russe.

Ces mesures s’inscrivent dans une logique de strangulation logistique, en bloquant les capacités de production et de transfert de composants utilisés dans l’effort militaire russe, via la Biélorussie.

Le règlement d’exécution (UE) 2025/1469 du Conseil complète la décision d’exécution en intégrant ces huit entités à l’annexe I du règlement (CE) n° 765/2006, leur imposant :

  • un gel des avoirs sur le territoire de l’Union,
  • une interdiction de mise à disposition de fonds ou de ressources économiques,
  • et une interdiction de toute forme de financement ou de fourniture de biens ou services.

Extension des mesures individuelles contre la Russie

Le volet russe du ciblage individuel s’étoffe également de manière considérable par l’ajout de 19 personnes physiques et 22 entités russes à l’annexe I du règlement (UE) n° 269/2014. Cette vague de sanctions s’articule autour de trois axes principaux :

  • Acteurs du complexe militaro-industriel : Sont visés des fabricants d’armements de précision, d’obus et de drones, ainsi que des centres de recherche en robotique financés par l’État russe et des structures de soutien à la mobilisation industrielle.
  • Facilitateurs de contournement : Plusieurs entités basées dans des pays tiers, notamment des établissements bancaires extraterritoriaux, des sociétés-écrans et des plateformes logistiques, sont inscrites en raison de leur rôle dans le transit ou la dissimulation de biens et services interdits.
  • Responsables politiques et militaires : Des figures de haut rang sont sanctionnées pour leur implication dans les bombardements stratégiques en Ukraine, la mise en œuvre de la conscription forcée dans les territoires occupés, ou leur participation à la propagande et à la répression.

L’objectif est ici de frapper les piliers humains et opérationnels de l’agression russe, en réduisant leur marge de manœuvre financière, logistique et diplomatique.